Histoire
En 1962, la société québécoise vit d’importantes transformations sur les plans politique, économique et social. L’extension de la sphère d’action de l’État québécois et la diversification de ses modes d’intervention rendent nécessaire une réflexion plus fondamentale sur les potentialités du droit public.
Le droit ne peut se concevoir d’une manière qui l’isole du social et, surtout, du politique.
À l’initiative de Paul Gérin-Lajoie, Ministre de la Jeunesse, le gouvernement libéral de Jean Lesage participe à la création de l’Institut de recherche en droit public en versant à la Faculté de droit de l’Université de Montréal une somme de 50 000 $. Si les travaux réalisés à l’Institut étaient utiles à la classe politique, leur fonction critique demeurait cruciale. Paul Gérin-Lajoie, diplômé de la Faculté, soulignait lors de l’inauguration que « l’Université n’a de comptes à rendre qu’à la vérité ».
Ainsi, le 26 février 1962, l’Institut devint le premier centre universitaire de recherche en droit au Québec et au Canada. Sa création accompagnait une transition importante dans l’évolution de la discipline universitaire du droit. La Faculté se transformait alors en un lieu où le droit était saisi en fonction de ses liens avec le social, l’économique et le politique et où ses professeurs se définissaient également comme des chercheurs.
De 1962 à 1972 : Une recherche visant à repenser l’État
Cette époque en est une de renouveau, de ruptures et de grands bouleversements. Sur l’échiquier mondial, nous sommes en pleine guerre froide et le processus de décolonisation s’accélère. Sur le plan politique, c’est la montée des grands mouvements de contestation sociale et des mobilisations de masse. Au Québec, c’est bien sûr la Révolution tranquille et son adoption d’un modèle étatique keynésien, la sécularisation rapide de la société et la redéfinition identitaire de la population francophone du Québec et ses conséquences politiques. Les relations Québec-Ottawa deviendront de plus en plus difficiles et le gouvernement fédéral cherchera à combattre les effets centrifuges du néonationalisme québécois par diverses politiques pancanadiennes visant à rendre le Canada plus hospitalier pour les francophones. C’est enfin à cette époque que l’on commence à s’intéresser au sort des populations autochtones du Canada et à élaborer des stratégies visant à faire cesser leur exclusion.
Les recherches menées au CRDP entre 1962 et 1972 sont fortement teintées par des préoccupations ayant trait au droit constitutionnel et au droit administratif. Ainsi, Pierre-Elliot Trudeau se penche en 1966 sur le Québec et le problème constitutionnel, alors que Jacques Brossard abordera en 1968 le thème de La Cour suprême et la Constitution : le forum constitutionnel au Canada. Cette même année, Andrée Lajoie examinera Les structures administratives régionales : déconcentration et décentralisation au Québec. Luce Patenaude traitera en 1972 de la question épineuse du Labrador à l’heure de la contestation. Bien que fort différents, tous ces travaux partagent cependant un a priori théorique.
De 1972 à 1985 : Un droit public élargi
Une série d’évènements politiques et économiques – coups d’État au Chili en 1973 et en Argentine en 1976, guerre du Vietnam qui ne terminera qu’en 1975, révolution et l’instauration d’une république islamique en Iran – feront fléchir l’optimisme qui avait caractérisé les années 1960. Au Québec, la question de l’avenir constitutionnel culminera avec la défaite de l’option indépendantiste lors du référendum de 1980. Les deux années qui suivront donneront lieu à d’intenses tractations qui aboutiront au rapatriement de la Constitution au Canada et à l’insertion dans cette constitution d’une Charte des droits dont la légitimité́ est contestée par le gouvernement du Québec. En pareil contexte, le droit public est inévitablement sollicité. D’ailleurs, une des œuvres phares du CRDP de cette époque est celle de Gilles Pépin et Yvon Ouellette, Principes de contentieux administratif, publiée en 1979.
À la faveur d’une série de catastrophes climatiques, l’environnement attire également l’attention. L’accès aux ressources aquifères et leur usage deviennent des questions cruciales à l’échelle planétaire. Sous la direction de Guy Lord, le premier traité sur Le droit québécois de l’eau est publié en 1977.
De même, la santé publique préoccupe de plus en plus les décideurs et un important projet mènera à la publication, en 1981, du Traité du droit de la santé et des services sociaux, premier ouvrage du genre au Québec, par Andrée Lajoie et Patrick A. Molinari.
Les chercheurs du CRDP seront aussi parmi les premiers à vouloir mesurer l’impact des nouvelles technologies de l’information sur la société́ et sur la reconceptualisation du droit à l’information qu’elles provoquaient. Le droit à l’information : émergence, reconnaissance, mise en œuvre, publié en 1981 par Pierre Trudel, Jacques Boucher, René Piotte et Jean-Maurice Brisson jouera un rôle pionnier à cet égard.
Ces années voient la consolidation de la vocation interdisciplinaire de la recherche au CRDP. Le droit est désormais systématiquement saisi en action et mis en contexte, et son analyse est éclairée par les grilles que proposent les disciplines connexes. On perçoit là l’influence déterminante de la première et encore seule femme à avoir dirigé le Centre, Andrée Lajoie, qui a aussi ouvert les portes du Centre à son premier chercheur non juriste, l’éminent sociologue Guy Rocher, qui jouera un rôle capital de décodeur.
De 1985 à 1999 : La formalisation des axes de recherche
Pendant cette période, la carte du monde se reconfigure, mettant en lumière l’importance croissante des identités et interrogeant le concept de souveraineté. Au Québec, les turbulences constitutionnelles se poursuivent, entre autres, avec l’échec de l’Accord du Lac Meech et de l’Entente de Charlottetown, suivi d’un second référendum sur la souveraineté en 1995. Au même moment, l’affirmation des peuples autochtones du Canada lance un défi à la société́ et aux gouvernements. Au diapason de leur société́, plusieurs chercheurs du CRDP s’intéresseront à l’instrumentalisation du droit dans le cadre de l’affirmation des revendications autochtones et, plus généralement, à la réceptivité des sociétés aux mutations induites par le droit. Ainsi, Andrée Lajoie codirigera en 1996, avec Jean-Maurice Brisson, Sylvio Normand et Alain Bissonnette, et, deux ans plus tard, avec Roderick A. Macdonald, Richard Janda et Guy Rocher, Théories et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité. Pour sa part, Guy Rocher publiera en 1996 ses Études de sociologie du droit et de l’éthique.
Les années 1985-1999 sont aussi une période charnière pour l’évolution des technologies. Une fois de plus, les chercheurs du CRDP seront à l’avant-garde. Pierre Trudel et France Abran feront paraître en 1991 Droit de la radio et de la télévision. Suivra en 1998 Internet : droit, normativité́ et technologies, sous la direction de Karim Benyekhlef, Paul Bratley, Jacques Frémont, Ysolde Gendreau, Ejan Mackaay, Daniel Poulin et Pierre Trudel.
Entamée lors de la période précédente, la prise de conscience face aux questions liées plus généralement au vivant va se poursuivre. Ainsi, Bartha Knoppers rédigera, en 1991, pour la Commission de réforme du droit le rapport Dignité humaine et patrimoine génétique. En 1996, Thérèse Leroux et Lyne Létourneau codirigeront L’être humain, l’animal et l’environnement : dimensions éthiques et juridiques, puis Thérèse Leroux et Bartha Knoppers poursuivront dans cette veine en 1997, avec Yves Brillon, en publiant Protection des sujets humains et des animaux d’expérimentation : la problématique des xénogreffes. Cette recherche de pointe ne se fera toutefois pas au détriment de la mission de service public du CRDP. Sur ce plan, la création, sous l’impulsion de Daniel Poulin, de sites de diffusion des décisions de la Cour suprême du Canada avec LexUM et CanLII constituera une initiative marquante en ce qu’elle visera à concrétiser, peut-être comme jamais auparavant, la notion d’accès à la justice.
De 1999 à aujourd’hui : Le tournant pluraliste
Ce qui fait la force du CRDP, c’est que ce Centre a toujours favorisé une recherche qui n’hésitait jamais à remettre en question les fausses évidences, une recherche où créativité́ et droit n’étaient pas vus comme des concepts antinomiques, une recherche où l’innovation s’est érigée en tradition. La vie du droit ne serait pas la même sans le CRDP.
À partir de 1999, plusieurs des thèmes ayant émergé précédemment continuent de mobiliser les chercheurs du CRDP, mais des innovations et pratiques jusque-là inconnues n’en surgiront pas moins pendant cette période. D’une certaine façon, ces années sont marquées par un sentiment d’insécurité. À cet effet, les enjeux liés à la biotechnologie se multiplient et des chercheurs du CRDP se regrouperont avec des collègues d’autres pays pour créer une série de partenariats, réseaux et lieux d’échange : le projet CARtaGene; l’Alliance pour la recherche en génétique communautaire (eCOGene); l’Institut international de recherche en éthique biomédicale (IIReB); le Réseau pour les études thérapeutiques et génétiques des cellules souches; le Réseau de médecine génétique appliquée (RMGA); et la base de données HumGen.
Tous les nouveaux outils d’utilisation et de partage des données numériques rendent de plus en plus poreuse la frontière entre les espaces privé et public, soulevant ainsi plusieurs problèmes sur la protection des données personnelles, le droit d’auteur et la protection des consommateurs ou des transactions commerciales, tant au niveau mondial qu’à l’échelle du Québec. Ces dynamiques internationales soulèvent aussi la question de la concurrence et de l’harmonisation des systèmes juridiques et celle, plus vaste, des rapports entre droit et économie. C’est à partir de tels constats qu’en 2000, Ysolde Gendreau rédigeait Un code de droit d’auteur pour la zone de libre-échange des Amériques, et qu’en 2001, Ejan Mackaay publiait avec Stéphane Rousseau et Guy Lefebvre Recherche sur le rôle des usages dans le droit des transactions commerciales internationales et Analyse économique du droit sept ans plus tard. En 2008, Ejan Mackaay et Stéphane Rousseau dirigeront également avec Jean-François Gaudreault-DesBiens et Benoît Moore, un ouvrage collectif intitulé Convergence, concurrence et harmonisation des systèmes juridiques. Karim Benyekhlef s’intéressera aux mutations de la normativité dans les sociétés postmodernes dans Une possible histoire de la norme : les normativités émergentes de la mondialisation. Pierre Trudel publiera le Guide des droits sur Internet et, en 2010, avec Vincent Gautrais, un ouvrage sur la Circulation des renseignements personnels et Web 2.0.
Le CRDP sera l’épicentre de grands projets de recherche sur les peuples autochtones et la gouvernance (dirigés par Andrée Lajoie de 2002 à 2005, puis par Pierre Noreau de 2005 à 2012), mais aussi sur l’intégration des valeurs des minorités sexuelles, ethniques ou religieuses dans le droit de l’État, que ce soit en contexte québécois ou sous un angle théorique ou comparatif. Violaine Lemay, dont plusieurs travaux s’intéressent à la sociologie et à l’épistémologie de l’interdisciplinarité́, s’est penchée sur les politiques juridiques en matière de protection de la jeunesse et sur la représentation des jeunes devant les tribunaux. Au-delà des groupes numériquement minoritaires, c’est aussi aux populations vulnérables que les chercheurs du CRDP s’intéressent et, dans leurs travaux sur la saisie juridique des revendications de ces dernières, ils et elles abordent souvent la question des modalités de concrétisation de l’accès des citoyens au système judiciaire, dont Pierre Noreau qui a fait paraître La déontologie judiciaire appliquée révélant les préoccupations autant pratiques que théoriques des travaux entrepris au Centre.
Ce contenu a été mis à jour le 9 février 2021 à 14 h 38 min.