APPEL LSP92 | Revue Lien social et Politiques – « Le droit comme laboratoire de participation citoyenne ».
APPEL À CONTRIBUTION
Sous la direction de Yan Sénéchal (Université de Montréal), Pierre Noreau (Université de Montréal) et Jacques Commaille (École normale supérieure/Paris-Saclay)
Si la formation des États-nations s’est accompagnée d’une marginalisation des pratiques de la participation citoyenne « à l’antique » en faveur de l’instauration des principes du gouvernement représentatif (Manin, 1995; Urbinati, 2006), force est de constater que la modernisation représentative de la démocratie est continument mise à l’épreuve depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale par toute une série de critiques : une délégitimation du parlementarisme par l’imposition de la ligne de parti, une crise de la représentation par la perte de confiance envers les élus, un déficit démocratique par le désengagement des citoyens vis-à-vis des élections, etc.
En retour, de telles critiques ont concouru à l’émergence d’un « nouvel esprit de la démocratie » (Blondiaux, 2008) dans les sociétés contemporaines. Plus que jamais, la citoyenneté se manifeste comme un idéal et une réalité en tension, son exercice cherchant à s’actualiser non plus principalement par l’élection mais également et peut-être davantage encore par la « participation » (Arnstein, 1969; Pateman, 1970; Mansbridge, 1983; Godbout, 1983; voir Bacqué et Sintomer, 2011; Bacqué et Sintomer, 2010) et la « délibération » (Habermas, 1992/1997; Rawls, 1993/1995; voir Girard et Le Goff, 2010; Floridia, 2017; Bächtiger, Dryzek, Mansbridge et Warren, 2018). Conséquemment, les expériences d’engagement citoyen se sont multipliées au cours des dernières décennies, et ce, aussi bien en Amérique et en Europe qu’ailleurs dans le monde (Smith, 2009; Chwalisz, 2020) : centres autogérés, associations de résidents, tables de quartier, comités d’usagers, budgets participatifs, jurys citoyens, audiences publiques, forums sociaux, etc. Ces expériences foisonnantes ont servi de matières premières à des recherches toujours plus nombreuses (Blondiaux et Fourniau, 2011), portant sur des domaines d’action très diversifiés (service communautaire, développement local, aménagement du territoire, etc.) et dans des disciplines scientifiques très variées (science politique, études urbaines, sociologie, etc.). La prolifération de ces expériences et de ces recherches corrobore l’hypothèse d’un « tournant participatif » (Bherer, Dufour et Montambeault, 2018) et d’un « tournant délibératif » (Blondiaux et Manin, 2021) pour qualifier l’ampleur des transformations politiques que connaissent les sociétés démocratiques.
Étonnamment, la place et le statut du « droit » demeurent sous investis et insuffisamment analysés par les recherches sur la démocratie participative et la démocratie délibérative. Tout se passe comme si l’accent mis sur les dynamiques et les effets des dispositifs sur la mobilisation et la décision reléguait dans l’ombre toute la normativité juridique qui leur est consubstantielle (Kerléo, 2022). Pourtant, certains travaux qui abordent frontalement les phénomènes juridiques ne manquent pas de déceler les potentialités participatives qu’ils laissent entrevoir (voir par exemple Santos, 2004; Commaille, 2015; Sénéchal et Noreau, 2020). Envisagé sous cet angle et au prisme de ses diverses « sources », le droit apparait comme un catalyseur de participation citoyenne à la fois manifeste et fondamental.
Un des domaines les plus révélateurs à cet égard est certainement celui de la production de la loi (Commaille, 1994; de Galembert, Rozenberg et Vigour, 2013), dont les nombreux défis conduisent certains à se demander si elle ne relève pas d’une « mission impossible » (Jadot et Ost, 1999). En dépit ou à cause de ces défis, dont le niveau d’échelle spatiale n’est pas le moindre (Zoller, 2021), il est possible d’observer le déploiement d’expériences et de projets visant à inclure les citoyens dans le processus législatif (Mader et Karpen, 2006; Lewis et Slitine, 2016; ParlAmericas, 2018; Gastil et Wright, 2019; Landemore, 2020; Leblanc, 2021; Heitzmann-Patin et Padovani, 2022; Rousseau, 2022). De fait, la présence du « citoyen co-législateur » se donne maintenant à voir quasiment à toutes les séquences du processus législatif (Vidal-Naquet, 2018; Kerléo, 2022) : dès l’amont par des initiatives citoyennes visant à influencer l’agenda législatif (Caluwaerts et Reuchamps, 2018) et par l’élaboration autonome de propositions de loi adressées aux élus (Dufour, 2004), lors de la discussion de législations souhaitables en commission délibérative (Vrydah, Bottin, Reuchamps, Bouhon et Devillers, 2021) et de projets de loi en commission parlementaire (Hendriks et Kay, 2019), pendant la lecture des projets de loi (Leston-Bandeira et Thompson, 2017), à l’étape de la rédaction des lois (Vidal-Naquet, 2017), au moment de voter les lois (Morel, 2018a) et de ratifier les constitutions (Fatin-Rouge Stefanini, 2021 : 351-365), même en aval lorsque vient le temps d’évaluer les législations pour les réformer (Aitamurto, 2020 : 93-94; Combrade, 2022 : 96-102). Ces tendances trouvent notamment écho dans certaines revendications démocratiques issues du mouvement des gilets jaunes, celle par exemple de l’implantation d’un Référendum d’initiative citoyenne (Magni-Berton, 2018; Morel, 2018b), de même que dans un sondage mené par l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice (IQRDJ-SOM, 2021) qui révélait un très fort appui à l’idée que les citoyens devraient pouvoir discuter les lois (95%), les proposer (84%), les adopter (77%) et même les évaluer (75%). Cela dit, la participation citoyenne en matière de droit s’étend encore à bien d’autres types de normes juridiques – règlements, conventions, ententes, etc. – qui sont autant de vecteurs d’« obligation collective » (Urfalino, 2021) et, partant, de formes du lien social (Noreau, 2022).
Devant la manifestation des expériences en cours et des projets en discussion, il semble ainsi opportun et pertinent de concevoir le droit comme un laboratoire à découvert afin d’observer autrement le phénomène participatif et ainsi jeter sur cet objet un éclairage différent.
Pour ce faire, le numéro thématique est structuré par trois axes de problématisation des relations entre normativité juridique et participation citoyenne :
- Le droit comme enjeu. Il peut tout d’abord s’agir d’étudier la participation citoyenne en matière de production du droit dans toutes ses sources (lois, règlements, etc.). Nombreux sont les angles d’approche à considérer : les enjeux en cause, les formes de participation citoyenne, le statut des acteurs à l’origine de leur activation, les procédures existantes, l’organisation des dispositifs en usage, les stratégies de mobilisation, les modalités d’engagement, les impacts sur la décision, les effets sur les citoyens, les attitudes des élus, etc. Le numéro thématique est également ouvert à accueillir des contributions portant sur la participation citoyenne au niveau de l’interprétation et de l’application des normes juridiques.
- Le droit comme cadre. Il peut en outre être question d’éclairer l’institutionnalisation de la participation citoyenne sous ses diverses formes, aussi bien en matière de droit (réforme législative, consultation réglementaire, etc.) qu’en tout autre domaine (construction d’un équipement, aménagement d’un parc, etc.). Plusieurs avenues sont envisageables : les lois qui garantissent la participation des citoyens, les droits qui les habilitent, les politiques qui valorisent leur participation, etc. Il y aurait également à mieux comprendre les effets de ce cadre juridique de la participation, s’il est véritablement perçu et mobilisé comme une ressource par les citoyens, s’il tend à reproduire les exclusions sociales, etc.
- Le droit comme objet. Il peut s’agir par ailleurs de saisir l’occasion pour interroger les régimes de connaissance dans la recherche sur la participation citoyenne en matière de droit et les défis épistémiques qu’elle soulève. Les pistes à explorer sont nombreuses : les approches disciplinaires qui contribuent à la recherche, les objets qui retiennent l’attention, les terrains empiriques investis, les théories, les concepts et les méthodes mobilisés, les enjeux éthiques, les perspectives d’avenir, etc.
Les auteurs et autrices sont invité·e·s à envoyer une proposition de contribution (1 à 2 pages, ou environ 6000 signes), en précisant leur affiliation universitaire, avant le 1er novembre 2022, à l’intention de Yan Sénéchal (yan.senechal@umontreal.ca). Celles et ceux dont la proposition aura été retenue par le comité de rédaction seront invité·e·s à soumettre un article complet pour le 15 mars 2023. La parution du numéro thématique est prévue pour le printemps 2024.
La revue ne publie que des textes inédits. Les auteurs et autrices sont tenu·e·s d’aviser la rédaction de tout projet de publication concurrent.
Références bibliographiques
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Ce contenu a été mis à jour le 29 août 2022 à 13 h 24 min.