Pourquoi faut-il quatre ans pour former un enseignant ? D’où vient cette norme ou encore, diraient certains, cette contrainte ? Il est parfois utile de se poser des questions sur les sources de nos préoccupations actuelles, car l’histoire est parfois éclairante pour se souvenir d’où nous venons. Une telle démarche peut guider notre réflexion sur le chemin à suivre à l’avenir.
Il est désolant, comme le fait Marie-Andrée Chouinard en éditorial dans Le Devoir du 25 août, de se rappeler que les avertissements et les pistes de réformes lancés au cours des dernières décennies par le Conseil supérieur de l’éducation et plusieurs experts en la matière, sur la qualité des apprentissages en formation des futurs enseignants et sur le manque de reconnaissance de leur importance, n’ont pas été suivis de stratégies propres à remédier à ces problèmes. Il y a eu bien sûr des rapports et des études sur le sujet, mais peu d’entre eux ont été efficacement et stratégiquement actés.
Rappelons que le sujet de l’importance de la reconnaissance et de la formation des enseignants n’est pas nouveau.
Ainsi, en 1912 se tient à Québec le premier grand congrès de la langue française sous l’égide de l’Université Laval. Le sénateur Raoul Dandurand, grand défenseur de l’école obligatoire qui avait présidé de 1909 à 1912 une commission royale d’enquête sur le fonctionnement de la Commission des écoles catholiques de Montréal, dont les recommandations furent mal reçues par le haut clergé et eurent peu d’impact, écrit dans le texte qu’il soumet et qui sera publié dans les actes du congrès : « Si tous les travaux de ce congrès n’aboutissaient qu’à la seule résolution suivie d’une action énergique et systématique d’inaugurer une campagne par toute la province pour l’amélioration du sort des instituteurs, cette réunion marquerait une date importante dans l’histoire du Canada français. […] L’avenir de notre race est exclusivement entre les mains de nos éducateurs. […] Nous sommes malheureusement loin, très loin de cet idéal vers lequel nous devons tendre. »
Il soumet aussi au congrès une résolution sur l’amélioration des salaires du personnel enseignant demandant « qu’une campagne soit inaugurée et poursuivie dans toute la province pour le relèvement des salaires des instituteurs et que le curé et les maires de chaque paroisse soient instamment priés de prendre la direction de ce mouvement ». Cette résolution ne sera pas incluse dans le programme sous prétexte de manque d’espace. Est-ce la vraie raison ? Ou bien la résolution n’avait-elle pas plu aux autorités religieuses, qui y virent une possibilité de réduction de leur mainmise sur l’éducation ?
Revenons à ces fameux quatre ans de formation pour enseigner. Leur origine date en partie du rapport Parent, qui proposa l’abolition des écoles normales, qui formaient alors les enseignants, et le transfert de cette formation aux universités, ce qui contribuerait entre autres à la revalorisation de cette carrière.
Lorsqu’on relit les pages du rapport Parent consacrées aux enseignants, on y retrouve bien sûr la nécessité d’allonger par différents mécanismes les études en pédagogie pour les rapprocher des cursus universitaires et l’idée de les poursuivre pendant trois ou quatre ans, mais on y retrouve aussi une préoccupation importante de mettre en place des cursus souples et flexibles adaptés à la réalité des étudiants et à leur formation antérieure. On y retrouve les idées de stages pratiques, de monitorat de travail en équipe, d’augmentation de la recherche, de reconnaissance des acquis et de communication avec les différentes facultés universitaires.
À voir le portrait actuel, on constate que ces facultés se sont souvent rigidifiées dans leurs mécanismes d’admission et leur concentration sur la théorie, avec des déficiences en encadrement et en pratique par différents mécanismes de stages intégrés à la formation, défauts qui ont un effet sur le maintien des clientèles.
Je ne sais pas si nous avons besoin d’une nouvelle commission d’enquête qui prendra quelques années ou plus simplement de revisiter toutes les études qui ont été produites en n’oubliant pas d’adopter une vision de formation permanente dont on a bien besoin dans un contexte de vieillissement de la population et de développement technologique.
Car, par-dessus tout, nous avons besoin de reconnaître l’importance de nos enseignants et de leur accorder la reconnaissance dont ils ont grandement besoin à l’heure actuelle.
Michèle Stanton-Jean
Ce contenu a été mis à jour le 28 novembre 2023 à 16 h 07 min.